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 |  |  |  |  |  |  |  | |  |  | | Papy39 |  | Immortel (le) |  |  |  | 1199 messages postés | 
 | |  Posté le 18-12-2011 à 16:16:33       
 
 |  | > VIEILLIR selon Bernard Pivot >
 > Extrait de son livre paru en avril 2011 : Les
 > mots de ma vie
 >
 >
 >
 > Vieillir, c’est chiant. J’aurais pu dire :
 > vieillir, c’est désolant, c’est insupportable, c’est douloureux, c’est
 > horrible, c’est déprimant, c’est mortel. Mais j’ai préféré « chiant »
 > parce que c’est un adjectif vigoureux qui ne fait pas triste.
 >
 > Vieillir, c’est chiant parce qu’on ne
 > sait pas quand ça a commencé et l’on sait encore moins quand ça finira.
 > Non, ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre naissance. On a été
 > longtemps si frais, si jeune, si appétissant. On était bien dans sa peau.
 > On se sentait conquérant. Invulnérable. La vie devant soi. Même à
 > cinquante ans, c’était encore très bien. Même à soixante. Si, si, je vous
 > assure, j’étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme.
 > Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps – mais quand – j’ai vu le
 > regard des jeunes, des hommes et des femmes dans la force de l’âge qu’ils
 > ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la
 > marge. J’ai lu dans leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence
 > à mon égard. Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais
 > impitoyables. Sans m’en rendre compte, j’étais entré dans l’apartheid de l’âge.
 >
 > Le plus terrible est venu des dédicaces
 > des écrivains, surtout des débutants. « Avec respect », « En hommage
 > respectueux », Avec mes sentiments très respectueux ». Les salauds! Ils
 > croyaient probablement me faire plaisir en décapuchonnant leur stylo plein
 > de respect? Les cons! Et du « cher Monsieur Pivot » long et solennel comme
 > une citation à l’ordre des Arts et Lettres qui vous fiche dix ans de plus!
 >
 > Un jour, dans le métro, c’était la
 > première fois, une jeune fille s’est levée pour me donner sa place. J’ai
 > failli la gifler. Puis la priant de se rasseoir, je lui ai demandé si je
 > faisais vraiment vieux, si je lui étais apparu fatigué. « Non, non, pas du
 > tout, a-t-elle répondu, embarrassée. J’ai pensé que… » Moi aussitôt :
 > «Vous pensiez que…? -- Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça
 > vous ferait plaisir de vous asseoir. – Parce que j’ai les cheveux
 > blancs? – Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus
 > âgé que moi, ç’a été un réflexe, je me suis levée…-- Je parais beaucoup
 > beaucoup plus âgé que vous? –Non, oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une
 > question d’âge… --Une question de quoi, alors? – Je ne sais pas, une
 > question de politesse, enfin je crois…» J’ai arrêté de la taquiner, je l’ai
 > remerciée de son geste généreux et l’ai accompagnée à la station où elle
 > descendait pour lui offrir un verre.
 >
 > Lutter contre le vieillissement c’est,
 > dans la mesure du possible, ne renoncer à rien. Ni au travail, ni aux
 > voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni à la gourmandise, ni à l’amour,
 > ni à la sexualité, ni au rêve. Rêver, c’est se souvenir tant qu’à faire,
 > des heures exquises. C’est penser aux jolis rendez-vous qui nous
 > attendent. C’est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l’utopie.
 > La musique est un puissant excitant du rêve. La musique est une drogue
 > douce.. J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en écoutant soit l’adagio
 > du Concerto no 23 en la majeur de Mozart, soit, du même, l’andante de son
 > Concerto no 21 en ut majeur, musiques au bout desquelles se révéleront à
 > mes yeux pas même étonnés les paysages sublimes de l’au-delà.
 >
 > Mais Mozart et moi ne sommes pas
 > pressés. Nous allons prendre notre temps. Avec l’âge le temps passe, soit
 > trop vite, soit trop lentement. Nous ignorons à combien se monte encore
 > notre capital. En années? En mois? En jours? Non, il ne faut pas
 > considérer le temps qui nous reste comme un capital. Mais comme un
 > usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans
 > modération. Après nous, le déluge? Non, Mozart.
 
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 Il faut juger les sentiments par des actes plus que par des paroles.
 [ George Sand ] -
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